Remédier aux disparités : des politiques de l’emploi pour une reprise plus équitable

0
290
Selon un nouveau rapport, la pandémie pourrait annuler les progrès obtenus sur le front du capital humain au cours des dix dernières années.

La pandémie de COVID-19 a détruit des emplois, sûrement et rapidement. Les effets de la crise sur les travailleurs pourraient être tout aussi douloureux et inégaux dans la durée.

En moyenne, ce sont les travailleurs les plus jeunes et les moins qualifiés qui ont le plus souffert. Les femmes, en particulier dans les pays émergents et les pays en développement, ont également été touchées. Beaucoup de ces travailleurs subissent des pertes de revenu et se heurtent à des difficultés pour trouver un emploi. Le choc a provoqué de telles mutations structurelles sur l’économie que même lorsque la pandémie reculera, les perspectives professionnelles pourraient se fermer définitivement dans certains secteurs et professions, et d’autres se développer.

Dans la dernière édition des Perspectives de l’économie mondiale, nous étudions comment les politiques publiques peuvent atténuer les effets terribles et inégaux de la pandémie. Nous constatons qu’un train de mesures destinées à aider les travailleurs à conserver leur emploi lorsque le choc de la pandémie se fait encore sentir, conjugué à des mesures visant à encourager la création d’emplois et faciliter l’adaptation à de nouveaux emplois et métiers, lorsque la pandémie déclinera, peut modérer sensiblement son impact négatif et faciliter la reprise du marché du travail.

Progrès de l’automatisation

Les emplois à faible intensité de compétences et les plus exposés à l’automatisation ont généralement souffert davantage durant la récession liée à la pandémie. Bien que les conséquences de cette récession sur des secteurs particuliers aient été différentes des récessions passées, la pandémie a accéléré des tendances existantes de l’emploi et renforcé son déclin dans les secteurs et professions les plus vulnérables à l’automatisation.

Parmi les secteurs qui ont souffert le plus de la crise, on peut citer les hôtels et restaurants (hébergement et restauration) et les magasins de gros et de détail (commerce). La distanciation physique et les changements de comportement provoqués par la pandémie ont intensifié la chute de l’emploi dans ces secteurs que l’on avait généralement observée lors des ralentissements passés. En revanche, dans les secteurs des technologies de l’information et de la communication, de la finance et de l’assurance, l’emploi a augmenté l’an dernier.  Souvent, les secteurs les plus touchés, qui se prêtent généralement peu au télétravail, emploient une proportion plus élevée de jeunes, de femmes et de travailleurs peu qualifiés, ce qui aggrave les effets inégaux sur les différents groupes de travailleurs.

Un retour à la normale laborieux

On peut conclure des récessions précédentes que cette pandémie va vraisemblablement faire payer un coût élevé aux chômeurs, en particulier ceux qui sont peu qualifiés. Après des périodes de chômage, les travailleurs sont souvent contraints de changer de métier pour trouver un emploi, ce qui s’accompagne souvent de baisses de salaire. En moyenne, les chômeurs qui trouvent un emploi dans une nouvelle profession voient leurs revenus beaucoup diminuer par rapport à leur emploi précédent, de l’ordre de 15 %.

Les travailleurs les moins qualifiés subissent une triple peine : ils risquent davantage de travailler dans des secteurs qui subissent le plus les effets négatifs de la pandémie et d’être mis au chômage pendant les récessions, et parmi ceux qui parviennent à trouver un emploi, ils sont plus souvent tenus de changer de profession et de subir une baisse de revenu.

Trouver le juste équilibre

Notre analyse montre comment des mesures appropriées peuvent, de façon extrêmement efficace, réduire les séquelles de la crise et ses effets inégaux sur les différents travailleurs. Si aucune disposition n’est prise pour renforcer le marché du travail (un scénario sans intervention), un choc économique provoqué par une pandémie qui frappe les métiers de façon asymétrique se traduit par une hausse énorme et rapide du chômage et un ajustement difficile à mesure que la situation économique s’améliore.

Si les aides au maintien dans l’emploi et à la réaffectation de la main-d’œuvre font partie du train de mesures adopté, les répercussions sur l’emploi seront moins graves et les travailleurs et les entreprises pourront s’adapter plus rapidement. En outre, ce dosage de mesures de soutien bénéficie de façon disproportionnée aux travailleurs peu qualifiés, qui pâtissent généralement davantage des conséquences plus vastes de la pandémie sur les emplois reposant sur de nombreux contacts mais à faible productivité. Les mesures de maintien de l’emploi, par exemple de chômage partiel comme le dispositif Kurzarbeit en Allemagne, ainsi que les subventions salariales comme le programme de protection des salaires (Paycheck Protection Program) aux États-Unis, peuvent aider à protéger les emplois contre le choc initial de la pandémie, tant que la distanciation physique est stricte, et réduire le chômage de 4 ½ points de pourcentage par rapport au niveau qu’il aurait atteint sans ces aides. À mesure que la pandémie faiblira, des mesures de réaffectation des travailleurs (incitations à créer des entreprises et embaucher des travailleurs, aide pour apparier les travailleurs aux nouveaux emplois et programmes de formation et de reconversion par exemple) peuvent faciliter l’adaptation aux effets plus permanents de la pandémie sur la structure de l’emploi. Le ciblage de certaines mesures vers les populations les plus touchées (les jeunes par exemple) pourrait également accélérer la reprise.

Les décideurs devront veiller à tenir compte de la trajectoire de la pandémie (notamment du nombre de personnes infectées et de décès, de l’ampleur des mesures de distanciation et du déploiement des vaccins) lorsqu’ils détermineront si l’économie peut supporter de passer de mesures essentiellement destinées à soutenir les emplois existants à d’autres visant à accélérer le déplacement des travailleurs vers les secteurs et les métiers en croissance. Des mesures bien dosées peuvent réduire les répercussions inégales de la pandémie sur les travailleurs et encourager une reprise plus rapide du marché du travail.

Inspiré du chapitre 3 des Perspectives de l’économie mondiale, « Récessions et reprises sur les marchés du travail : tendances, politiques publiques et ripostes face au choc de la COVID-19 » de John Bluedorn (auteur principal), Francesca Caselli, Wenjie Chen, Niels-Jakob Hansen, Jorge Mondragon, Ippei Shibata et Marina M. Tavares, avec le concours de Youyou Huang, Christopher Johns et Cynthia Nyakeri.

*****

John Bluedorn est chef adjoint de la division études économiques mondiales du département des études du FMI. Auparavant, il a été économiste principal dans l’unité réformes structurelles du département des études, membre de l’équipe zone euro du FMI au département Europe et a travaillé sur plusieurs chapitres des Perspectives de l’économie mondiale en tant qu’économiste. Avant d’entrer au FMI, il était professeur à l’université de Southampton, au Royaume-Uni, après avoir été chercheur postdoctorant à l’université d’Oxford. M. Bluedorn a publié des articles sur différents thèmes dans les domaines de la finance internationale, de la macroéconomie et du développement. Il est titulaire d’un doctorat de l’université de Californie à Berkeley.

 

LAISSER UN COMMENTAIRE