La problématique du développement : le paradoxe africain

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« Messieurs les membres et responsables d’Europe, c’est votre solidarité et votre gentillesse que nous vous appelons au secours en Afrique.

Aidez-nous, nous souffrons énormément en Afrique. Aidez-nous, nous avons des problèmes et quelques manques de droits de l’enfant ».

Voilà le message que ces deux jeunes guinéens ont adressé aux dirigeants européens, avant d’entreprendre leur périlleux projet, de rejoindre l’Europe en se cachant dans le train d’atterrissage d’un avion belge, qui faisait le trajet Conakry-Bruxelles.

La suite, on la connait, ils ne s’en sont pas sortis vivants.

Cependant, ce message concis, montre dans la forme comme dans le fond, l’état d’esprit de ces jeunes gens et leur naïveté. Tout de même, cette missive est pleine de sens, en ce qu’elle montre la détresse des populations africaines. C’était en 1999, et vingt ans plus tard leur angoisse reste d’actualité. En effet, aujourd’hui il y a des milliers de Yaguiné et Fodé qui bravent les intempéries du Sahara et de la méditerranée, dans l’espoir de rejoindre « l’eldorado européen ».

Yaguiné et Fodé n’étaient-ils pas des lanceurs d’alerte avant l’heure ? Le message qu’ils ont laissé, prouve qu’ils étaient conscients du danger de leur projet. Ils l’ont fait, ils ont tiré la sonnette d’alarme, pour attirer l’attention sur la pauvreté et le désespoir qui sévissent en Afrique.

En 1962 déjà, René DUMONT, ingénieur agronome français attirait l’attention des dirigeants africains de l’époque sur les choix économiques à opérer, pour mettre le continent sur les rails du développement. Son fameux livre « l’Afrique noire est mal partie » (1962 édition Seuil), a fait l’objet de beaucoup de controverses et de critiques.

En 1991, Axelle KABOU sociologue camerounaise faisait paraitre son livre « Et si l’Afrique refusait le développement ? » (1991 édition Harmattan). Plus tard, en 2010, le malien Moussa KONATE publiait son livre intitulé « L’Afrique noire est-elle maudite ? » (2010 édition Fayard). Tous ces auteurs ont fait une étude critique des politiques publiques des états africains.

Aujourd’hui, ce sont des activistes qui prônent la souveraineté monétaire, contre ce qu’ils appellent la servitude monétaire. Autrement dit, ils militent pour la rupture des liens existant particulièrement, entre le franc CFA et le trésor français.

Comme nous le voyons, la problématique du développement de l’Afrique ne date pas d’aujourd’hui, néanmoins, elle est toujours d’actualité. Alors, la question qu’on est en droit de se poser est : pourquoi l’Afrique tarde à décoller sur le plan économique, malgré la potentialité de ses ressources naturelles ? Les africains vivent quotidiennement la pauvreté, pendant qu’ils sont assis sur des trésors immenses. C’est un véritable paradoxe !

Les potentielles ressources naturelles du continent.

L’Afrique regorge de ressources inestimables. Si l’on prend les ressources hydrauliques, l’on pense d’ors et déjà à la RDC (République Démocratique du Congo). Les cours d’eau existant dans ce pays peuvent porter les besoins, de tout ou une bonne partie du continent, en électricité. Cheikh Anta DIOP l’avait démontré dans les années cinquante/soixante. Par ailleurs le soleil surplomb le continent vingt-quatre sur vingt-quatre et trois cents soixante-cinq jours de l’année.

C’est dire que la production d’électricité photovoltaïque est plus que propice dans tous les pays africains. Même l’énergie éolienne peut-être une alternative à l’énergie fossile qui coûte très cher. Cela ne veut pas dire que l’on ne doive pas utiliser l’énergie fossile, d’autant plus que le continent dispose de pétrole et de gaz en quantité. Il faut donc promouvoir le mix énergétique.

Le Niger possède de l’uranium, que la France utilise, pour entre autre sa production d’électricité, et pourtant, comme la plupart des pays africain, ce pays est en manque d’électricité. Nous avons fait exprès de parler d’abord de l’énergie électrique, puisqu’elle alimente la force motrice de l’industrialisation. Alors, comme nous le constatons, il n’y a pas de raison pour les pays africains de ne pas accéder à l’autosuffisance en électricité. C’est fondamental, l’on ne peut pas se développer, si l’on n’a pas l’énergie électrique à suffisance. Pour créer de la valeur et des emplois, il faut nécessairement promouvoir l’industrialisation.

L’Afrique dispose d’autres ressources naturelles, telles que le pétrole et le gaz, la bauxite, le fer, l’or, le diamant, le zircon et tant d’autres minerais du sol et du sous-sol.

L’autosuffisance alimentaire.

La faim, la sous-alimentation, et la malnutrition demeurent des fléaux en Afrique, en ce 21 è siècle ; c’est inadmissible. Les Etats africains ne peuvent continuer à quémander ou à importer de quoi nourrir leurs populations. Les conditions peuvent être réunies pour une autosuffisance alimentaire, c’est une question de volonté politique. Pour ce faire, l’agriculture ne doit plus être basée sur la pluviométrie uniquement, avec ses incertitudes, cela devient aléatoire. Impérativement, il faut aujourd’hui miser sur les techniques d’irrigation, pour cultiver dans n’importe quelle période de l’année. Cela se fait ailleurs, pourquoi pas en Afrique ? En dehors de l’agriculture, le continent regorge de zones poissonneuses et d’autres produits halieutiques, riches en protéine. De petites unités industrielles peuvent transformer certains produits de la mer en farine, nutriments essentiels pour pallier la sous-alimentation et la malnutrition. Les africains doivent d’abord profiter des produits de la mer à leur portée, avant que des chalutiers pirates ne viennent les spolier, ou alors ce sont les gouvernants africains qui s’empressent de signer des accords de pêche léonins.

L’Afrique ne doit plus continuer à faire travailler les riziculteurs thaïlandais, chinois, vietnamiens, pakistanais et autres. Plus de la moitié de la population africaine est constituée de jeunes, le continent regorge de cours d’eau pour l’irrigation. La mécanisation de l’agriculture est possible, il s’agit simplement, une fois encore, d’une volonté politique et une question d’option sur les priorités à mettre en œuvre. Ce sont là, les enjeux, qui, s’ils sont bien compris et maitrisés, peuvent réunir les conditions d’une autosuffisance alimentaire.

Miser sur le capital humain et l’économie numérique.

L’Afrique est réellement confrontée à une course contre la montre. Les prévisions de la croissance démographique estiment qu’en 2050, le quart de la population mondiale sera constitué d’africains. C’est dire que les gouvernants africains sont assis sur une poudrière, du fait de cette croissance démographique à plus ou moins long terme. Impérativement, les décideurs politiques doivent anticiper cette possible explosion démographique. Il faut dès à présent désamorcer cette bombe.

Anticiper sur de telles perspectives, c’est assurément miser sur le capital humain. La jeunesse africaine a besoin de savoir et de savoir-faire, pour prendre son destin en main, en participant effectivement au développement économique du continent. Il est donc question pour les gouvernants, d’augmenter le taux de scolarisation et réduire par la même occasion l’analphabétisme, particulièrement en zone rurale et chez les jeunes filles. Ce souci d’inculquer le savoir et le savoir-faire, va de pair avec la santé des populations. Les gouvernants africains doivent donc beaucoup investir dans l’éducation et la santé. Cela permettra de capturer le dividende démographique.

C’est dans cette optique qu’on pourra sortir la jeunesse africaine de l’oisiveté et lui permettre de vivre dignement, en participant au développement de la communauté. C’est en ce moment et en ce moment seulement, que la croissance démographique ne sera plus considérée comme un handicap, mais comme une véritable opportunité. Naturellement, si la jeunesse n’est pas prise en charge convenablement, elle se trouverait à la merci des djihadistes et des passeurs de migrants, vendeurs d’illusions. Les chantiers sont nombreux, mais il faut les prendre à bras le corps, tout en considérant une approche holistique du développement.

L’Afrique doit par ailleurs saisir les opportunités offertes par l’économie numérique, pour combler son retard. En effet, beaucoup de possibilités pour réduire la pauvreté, l’analphabétisme et certaines maladies, sont disponibles dans l’économie numérique. Les flux des transactions financières et des échanges économiques sont plus denses avec l’avènement des TICs, qui tendent à démocratiser et à socialiser l’activité économique.

Démocratie et bonne gouvernance.

Le développement ne peut pas prospérer dans un environnement dictatorial. Ceux qui ont emprunté cette voie, se sont retrouvés dans un cul de sac, une voie sans issue. Ils l’ont appris à leur dépend. La gestion des politiques publiques doit se faire dans la transparence, avec un contrôle périodique par des instances dédiées.

Aujourd’hui, un régime dictatorial ne peut plus prospérer, avec l’utilisation des réseaux sociaux par les populations. Nous sommes à l’ère de la société de la «connectivité ». Les citoyens s’informent en temps réel et échangent des informations sécurisées et organisent parfois des mobilisations, sans passer par les canaux traditionnels.

La gouvernance du 21 è siècle requiert une discipline politique, une discipline financière, une discipline budgétaire et de l’éthique. Certains manquements sont vite dévoilés, certaines dérives dénoncées. Par exemple, les gouvernants sont beaucoup plus regardants sur l’endettement. Emprunter pour financer des investissements utiles et en y espérant un retour sur investissement est un endettement positif. Par contre un emprunt pour financer des charges de fonctionnement, ne peut prospérer ; c’est un endettement négatif. Dans le premier cas les populations vont applaudir, dans le second cas elles vont dénoncer.

Prenons le cas de la monnaie, il faut le dire tout haut, sa gestion doit être souveraine. Il faut militer pour la souveraineté monétaire. Cependant, la gestion monétaire doit se faire dans un cadre de bonne gouvernance. Les autorités politiques et les autorités monétaires doivent pouvoir agir sur certains leviers pour la maitrise de l’économie, en toute indépendance. Les décideurs ont souvent besoin de hausser ou de baisser les taux directeurs pour réguler la masse monétaire. Une monnaie souveraine permet aux autorités politiques et aux autorités monétaires d’utiliser les mécanismes de la création monétaire, sans devoir se référer à une puissance extérieure. Contrôler l’inflation ou décider d’une création monétaire par le biais de la planche à billet, ne peut se faire que dans le cadre d’une souveraineté monétaire. Tout cela est aussi valable, lorsqu’on veut décider d’une dévaluation dans le cadre d’une politique économique.

Au demeurant, la monnaie est une question très sensible. Avant de s’engager, il faut mettre en place les bases techniques. Dit autrement, il s’agit ici de déterminer la nature de la banque centrale à mettre en place, de déterminer la valeur de la monnaie, son indexation pour définir sa parité par rapport aux principales devises, etc.

En conclusion, le développement ne peut se faire que dans la transparence, la bonne gouvernance, l’éthique et la démocratie, avec de véritables mécanismes de contre-pouvoir et de contrôle.

Ce n’est que de cette façon, que l’Afrique pourra se développer, au bénéfice exclusif des africains d’abord.

Et Yaguiné et Fodé pourront dormir tranquillement du sommeil des justes, là où ils se trouvent et la jeunesse africaine cessera de braver les dangers du Sahara et de la Méditerranée pour atteindre l’Europe.

Serigne Ousmane BEYE

Email: beyeouse@ucad.sn.

 

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