Etienne Fakaba Sissoko et Khalid Dembélé, Chercheurs au CRAPES, Bamako
Etienne Fakaba Sissoko est Ancien Conseiller chargé des Questions Économiques à la Présidence de la République du Mali, Chercheur au Centre de Recherche d’Analyses Politique Économiques et Sociales du Mali, Maitre-Assistant à la Faculté des Sciences Économiques et de Gestion de Bamako chargé de cours de Macroéconomie. Il est auteur de plusieurs articles et deux ouvrages : « les déterminants de la croissance économique du Mali de l’indépendance à nos jours » Éditions universitaires européennes EUE, Juin 2011, SBN : 6131557128, et « les solutions économiques à la crise malienne. », Aug 2018, Éditions universitaires européennes EUE ISBN13 9786138414391.
Khalid DEMBELE
est Chercheur au Centre de Recherche d’Analyses Politiques, Économiques et Sociales (CRAPES-Mali), Khalid DEMBELE est Chargé de cours de macroéconomie dans plusieurs universités de la place dont l’Institut Supérieur des Techniques Économiques Comptables et Commerciales (INTEC SUB) et est doctorant. Co-auteur de l’ouvrage : « les solutions économiques à la crise malienne. », Aug 2018, Éditions universitaires européennes EUE ISBN13 9786138414391,
Résumé :
Le présent article se donne comme objectif d’évaluer la résilience de l’économie malienne face à la crise sanitaire qui secoue le monde depuis janvier 2020. Dans cette optique, les mesures gouvernementales adoptées pour atténuer les conséquences de la maladie, notamment celles annoncées par le président de la République dans son discours à la nation du 10 avril 2020, serviront de base à l’analyse. Loin des considérations politiques, cet article fait ressortir la pertinence des mesures annoncées, leurs insuffisances et les difficultés d’application dans le contexte d’une économie à très faible revenu comme celle du Mali.
Sur la pertinence, l’article s’intéresse aux débats suscités par les mesures présidentielles avec l’emploi par le président de la République, des expressions comme « couches fragiles, couches vulnérables ». L’article relève également les disfonctionnements liés à la crise sanitaire, de l’économie malienne dont un des pans importants reste le secteur informel. L’article traite enfin de l’impact de la fermeture des frontières, qui ravive le vieux débat d’une souveraineté économique axé sur un modèle de développement capable de soutenir l’économie nationale sur le long terme, tout cela, dans le cadre d’une transformation structurelle profonde.
Mots clés : Covid-19, Dépenses Publiques, Recettes Publiques, Sécurité Alimentaire, Capital Humain, Secteur Informel, Politique Budgétaire, Mali.
Abstract:
Mali’s resilience in face of Covid-19 crisis: an analysis of the economic consequences.
The aim of this article is to assess the resilience of the Malian economy in the face of the growing impact of the global health crisis since January 2020. To do so, the government measures adopted to limit the consequences of the disease, including those announced by the President of the Republic in his speech to the nation on 10th April 2020, will serve as the basis for the analysis. Far from political debates, this article highlights the inadequacies of the measures announced, their relevance, and the difficulties of their application in the context of a very low-income economy such as Mali’s. On relevance, the article looks at the debates sparked by presidential measures with the use of expressions by the President of the Republic as « fragile layers, vulnerable layers ». It also notes the dysfunctions related to the health crisis of the Malian economy, one of the major parts of which remains the informal sector. In addition, the article also discusses the impact of border closures, which revives the old debate of economic sovereignty based on a development model capable of supporting the national economy in the long term, all in the context of a profound structural transformation.
Keywords: Covid-19, Public Expenditures, Public Revenues, Food Security, Human Capital, Informal Sector, Budget Policy, Mali
Introduction
Pour rappel, les économies africaines connaissent leurs premières récessions depuis plus de 25 ans[1].
Du fait de Covid-19, la croissance de l’Afrique subsaharienne devra se rétracter fortement, passant de +2,4% à -5,1% en moyenne pour cette année 2020[2]. Sous l’effet conjugué de la désorganisation des échanges et des chaînes de valeur, la Banque Mondiale évalue les pertes de production liées à la pandémie entre 37 et 79 milliards $ en 2020, pénalisant les exportateurs de produits de base et les pays fortement intégrés dans les filières mondiales comme le Nigeria, l’Angola ou l’Afrique du Sud.
Pour le Mali, les conséquences sont désastreuses : les prévisions de croissance pour l’année 2020 chutent de 5% à 0,9% avec un impact incommensurable pour une économie dont le moteur stimulateur est l’informel[3].
Devant l’agriculture réglementée, l’informel est le premier secteur pourvoyeur d’emploi sur l’ensemble du territoire national et représente plus de 60% du produit intérieur brut (PIB). 99% des entreprises maliennes qui y opèrent assurent 95% des emplois créés. L’informel représente à lui seul 70% de l’activité économique[4].
Par ailleurs, le pays continue à subir les affres des autres déséquilibres sociaux, notamment, la crise sécuritaire et les crises humanitaires et identitaires mettant en péril les fondamentaux d’un pays déjà éprouvé dans ses fonctions régaliennes. Les attaques contre les forces de sécurité et les conflits inter et intra-communautaires se démultiplient. Cette expansion exécrable de l’insécurité couplée aux aléas climatiques qui poussent de nombreuses populations à quitter leurs localités de vie et d’activités pour d’autres horizons fait qu’aujourd’hui plus de 207.751 déplacées internes sont répertoriés à la date du 31 décembre 2019, d’après le dernier rapport de la Commission Mouvement de Population (CMP).
Au vu de ces problèmes épineux, il est évident que le Mali était déjà un pays à risque en termes de perspectives économiques avec, comme défi, de gérer simultanément trois crises (sécuritaire, identitaire et humanitaire) qui, de surcroit, s’imbriquent et s’entretiennent mutuellement augmentant les facteurs de risque sur la population qui fait déjà face à de graves problèmes de sécurité alimentaire.
D’après le rapport du bureau de la Coordination des Affaires Humanitaires des Nations Unies (Rapport OCHA[5] du 28 janvier 2020), près de 4,3 millions de personnes ont besoin d’assistance humanitaire en 2020 avec une prévision de 1,1 million de personnes qui seront en insécurité alimentaire « sévère » dans le pays durant la période de soudure (juin à août 2020), une prévision conforme à la situation actuelle.
Dans cette situation d’insécurité soutenue, les évolutions conjoncturelles économiques du Mali n’ont jamais été aussi alarmantes et font planer l’incertitude chez les investisseurs principalement et d’autres acteurs économiques. L’investissement, variable macroéconomique qui dynamise et stimule la création de richesse, de l’emploi et donc de la croissance est plus que jamais au ralenti.
C’est dans ce climat cataclysmique que le Mali, à l’instar du monde entier, vit depuis quelques mois en raison de la crise sanitaire la plus grave, à la fois énorme et hors norme, de la deuxième décennie du 21e siècle. Partie de la Chine, la mondialisation, l’interdépendance, l’interconnexion des secteurs économiques et des économies des pays font que la Covid-19 sévit dans tous les pays qu’ils soient à revenu élevé, moyen ou faible. Tout le monde y passe.
Le présent article se donne comme objectif d’évaluer la résilience de l’économie malienne face à l’impact de plus en plus croissant de la crise sanitaire qui secoue le monde depuis janvier 2020.
Des mesures présidentielles pour atténuer les conséquences de la crise sanitaire :
Nous le savons bien, quand l’activité économique ralentit, loin des élucubrations théoriques, l’intervention de l’État est une problématique qui relève du bon sens : il faut sauver des emplois, et donc préserver le pouvoir d’achats des familles. Le gouvernement du Mali, conscient que l’économie est déjà en récession, puisque les perspectives de croissance économique de 4,9 % en 2020 sont revues en baisse (la baisse est confirmée, mais l’ampleur n’est pas encore proportionnée puisque que la crise n’est qu’à son début) n’a d’autres choix que d’intervenir[6].
L’intervention a été tardive. Or, la gouvernance trouve son efficacité dans la proactivité, dans l’anticipation. Le timing est important. Des mesures ont été prises Mais pour autant ont-elles été efficaces ? Rappelons les plus essentielles, surtout, celles à l’endroit des couches dites fragiles » :
Un fonds spécial de 100 milliards de francs CFA pour les familles les plus vulnérables mis en place à l’échelle des 703 communes du Mali ;
La distribution gratuite de cinquante-six mille tonnes de céréales et de seize mille tonnes d’aliments bétail aux populations vulnérables touchées par la Covid-19 ;
La diminution pendant 3 mois de la base taxable au cordon douanier des produits de première nécessité, notamment le riz et le lait ;
La prise en charge, pour les mois d’avril et de mai 2020, des factures d’électricité et d’eau des catégories relevant des tranches dites sociales, c’est-à-dire les plus démunies ;
L’exonération de la Taxe sur la Valeur Ajoutée sur les factures d’électricité et d’eau de tous les consommateurs, pour les mois d’avril, mai et juin 2020 ;
Le gouvernement, a ainsi décidé de mettre en place des mesures sociales qui coûteront près de 500 milliards de francs CFA à l’État dans les hypothèses basses.
Pour les entreprises, nous retenons :
Les crédits de toutes les entreprises sinistrées suite à Covid-19 seront restructurés et des orientations seront données aux banques, afin que les entreprises maliennes puissent bénéficier des concessions accordées par la Banque Centrale des États de l’Afrique de l’Ouest ;
Dans le cadre du programme « Un malien, un masque » 20 millions de masques lavables seront distribués aux populations vulnérables, en mobilisant les tailleurs compétents qui peuvent en fabriquer.
Par ailleurs, le gouvernement s’engage à :
Revoir toutes les allocations budgétaires. La révision commencera par le sommet de l’État ;
Payer une prime spéciale au personnel de santé mobilisé ainsi qu’aux éléments des forces de sécurité et de défense affectés à la surveillance du couvre-feu et des lieux d’attroupements éventuels ;
Renoncer à un mois de salaire pour contribuer à l’effort de guerre requis contre la COVID-19 ;
Le Président de la République renonce à trois mois de salaire, et le Premier ministre, à deux mois.
Il faut rappeler que la plupart des chefs d’États, en cette période pandémique, ont annoncé des mesures sociales d’accompagnement. Le discours du président de la République du 10 avril était donc attendu. Toute la problématique c’est de savoir quels fondements stratégiques pour les mesures annoncées ? Au-delà, sont-elles réalistes et suffisantes ?
Des mesures qui prônent une relance de l’économie par une politique budgétaire :
De ces mesures, il transparait une volonté d’application d’une politique budgétaire de relance, donc une augmentation des dépenses budgétaires à travers la renonciation, pour la période concernée, des recettes relatives à certains produits de première nécessité, ce qui va permettre aux prix de baisser si les vendeurs jouent le jeu et si la politique de régulation des prix et de la concurrence est appliquée efficacement.
Mais toujours est-il que depuis 2019, le gouvernement, persiste et signe que la situation des finances publiques est critique : « L’art de l’imposition consiste à plumer l’oie pour obtenir le plus de plumes avec moins de cris [7]». Pour rappel, nous n’étions qu’à la moitié (50 à 55 %) des prélèvements des recettes devant se faire courant 2019 pour soutenir les dépenses en novembre 2019, quand certaines sociétés, notamment dans les hydrocarbures, ont même effectué des avances sur les trois premiers trimestres 2020 pour permettre à l’État de faire face à certains engagements[8].
Au-delà des dons qui restent des « dons », en finance publique les miracles existent peu : ce sont les recettes qui financent les dépenses. A défaut, il faut creuser le déficit, ce qui augmentera la dette et pose la problématique de sa soutenabilité. Le déficit en soi n’est pas un problème en économie. Mais il faut qu’il serve à quelque chose, notamment, créer de la richesse au profit du bien-être de la population : la problématique de l’efficacité découvre toute sa raison d’être ici.
Le Président, dans son allocution insiste sur la « réorientation de certaines allocations budgétaires en commençant par le sommet de l’État » pour faire face à ces dépenses. Cela pose un réel souci en termes de stratégie de coût d’opportunité (avantage-coût) dans un pays où tout est prioritaire (santé, éducation, sécurité…).
Il convient alors que la stratégie de réorientation s’effectue dans une optique d’amélioration du bien-être collectif plutôt qu’au profit de quelques privilégiés de la République. Par exemple, le paiement des arriérés de salaires des enseignants même par fait de grèves aurait pu, au-delà de décrisper ce front social, être perçu comme une mesure plus juste et plus équitable en faveur des populations de toutes les couches sociales.
Et qu’à cela ne tienne, le discours sur la rationalisation du budget de l’État a toujours été tenu par les mêmes autorités depuis des lustres. Mais en ne considérant que la gouvernance sur la période 2013-2018, les dépenses ont subi une augmentation moyenne de plus de 13 % ces cinq dernières années, passant de 1.433 milliards en 2013 à 2.330 milliards en 2018[9]. Nonobstant cela, la situation globale du pays ne fait que s’aggraver[10].
En dépassant le scepticisme sur le caractère soutenable et efficace de ces mesures, une grosse difficulté se pose : sont-elles suffisantes ? Cette crise, au-delà de son aspect conjoncturel, pose, de la façon la plus évidente, un autre problème plus épineux d’ordre structurel.
En effet, nos services sanitaires sont dans une situation exécrable, voire dans l’abime. Le personnel soignant, en plus de son nombre limité, manque de qualification. Sans compter les matériels de soin qui sont limités voire inexistants dans certains hôpitaux.
C’est le moment de réfléchir et de concevoir un plan d’investissement de grande envergure pour le secteur sanitaire, allant de la formation, en passant par des recrutements, la construction des hôpitaux et la disponibilité des matériels. C’est en cela que la crise actuelle devient une opportunité pour le Mali de redresser sa gouvernance, relever la tête pour le bien-être des populations.
Quid de cette notion de couche dite « fragile » qui devrait plus bénéficier de ces mesures ?
Le Mali est un pays à revenu moyen faible, 770 dollars par habitant et par an, soit 463 540 F CFA par an et par habitant. Dans une situation de cherté de vie aggravée par la situation de la crise multidimensionnelle, combien de famille peuvent vivre toute l’année avec 463 540 FCFA (soit 38 628 FCFA par mois) dans un pays où le taux de fécondité est de 6 enfants par femme en moyenne ? [11]Cela, sans compter sur les inégalités de revenu et la pauvreté. L’indice de développement humain du PNUD qui évalue le développement qualitatif (instruction, santé…) d’un pays, classait en 2019 le Mali 48ème au niveau du continent africain et 182ème au niveau mondial sur un total de 189 pays (soit le septième dernier sur l’échelle mondiale).
[12] Comment, dans cette situation de vulnérabilité et d’inégalité de revenu généralisé, doublée d’une pandémie qui ralentit toute activité économique, reconnaitre la couche la plus fragile ? Tous les emplois sont menacés, et même les salaires des fonctionnaires de l’État ne sont pas garantis.
En effet, une récession longue se traduisant par une dépression met tout État en faillite économique, et donc dans l’incapacité de s’acquitter de ses engagements salariaux.
Nous avons connu ce cas dans certains pays comme le Tchad pour des crises moins graves que celle que nous vivions aujourd’hui, lorsque le prix du baril du pétrole avait commencé sa chute, il y a deux ans, impactant négativement les recettes d’exportation tchadienne, et donc sa capacité de financement des dépenses salariales. Si plusieurs couches existent, elles sont toutes dans ce contexte pandémique, « fragiles, voire vulnérables ». Loin des discours politiques, le pragmatisme économique voudrait une vision stratégique de mesures aptes à accompagner l’ensemble des couches devenues aujourd’hui toutes vulnérables.
Par ailleurs, rappelons que le Mali, comme la majorité des pays africains, importe plus de 90% de ses médicaments. Dans une situation d’urgence pandémique comme celle de la Covid-19, où tous les pays exportateurs de médicaments favorisent d’abord la satisfaction de la demande intérieure, cela augmente le risque sanitaire, donc de mortalité dans les pays importateurs. Plus que jamais, un plan de développement de l’industrie pharmaceutique doit être conçu et appliqué pour assurer à la nation une certaine souveraineté de ce point de vue.
La crise que nous vivons, de part son importance, a amplement démontré les insuffisances de la mondialisation des économies industrielles. Les exportations et les importations de toutes les grandes économies ont montré des signaux de détresse. Une balance commerciale qui se détériore engendre illico presto une baisse du PIB et par effet de causalité de la croissance économique.
C’est à cette baisse de croissance que nous assistons dans tous les pays du monde. Le moment est venu, pour des pays comme le Mali, de moins dépendre des dépenses publiques, des recettes d’exportation et donc de la balance commerciale afin d’amorcer la construction d’un secteur industriel axé sur la réponse de la demande intérieure, laquelle demande intérieure se doit d’être stimulée par des emplois stables et par la mise en place de filets de sécurité efficaces.
Covid-19 : une crise qui met à l’épreuve le secteur informel
La grande particularité de cette crise sanitaire est qu’elle impose un critère de distanciation sociale, allant d’un mètre jusqu’au confinement le plus strict. Or, l’activité économique dans notre pays, comme partout ailleurs, est, par essence, une activité mobile, dynamique qui implique une interaction permanente entre agents économiques.
Cette interaction se démultiplie lorsqu’il s’agit d’entreprises évoluant dans le secteur informel. Sous cet angle, l’informel, un des poumons de l’économie malienne, devient un des facteurs aggravants de la crise sanitaire. On entend par secteur informel, ces entreprises où on constate toute absence de tenue de registre du commerce, d’existence d’un statut, de texte juridique, d’immatriculation et de capital social (OHADA). Au Mali, où le taux d’analphabétisme dépasse les 65 %[13], le secteur informel représente près de 70 % de l’activité économique[14].
Devant l’agriculture réglementée, l’informel est le premier secteur pourvoyeur d’emploi sur l’ensemble du territoire national avec plus de 60 % du Produit Intérieur brut, 99 % des entreprises maliennes qui y opèrent et 95 % des emplois créés (rapport API Mali, juin 2017). Dans cette précarité économique caractérisée par l’informel, la grande majorité des agents économiques au Mali vivent au jour le jour. C’est pourquoi, les mesures de restriction présentées comme l’une des solutions les plus efficaces pour ralentir la chaine de transmission de la Covid-19, sans mesures d’accompagnement comprises et partagées par les agents économiques, sont une « chimère » au Mali. En effet, entre le risque d’attraper la maladie à Coronavirus et la survie, le choix est vite fait. D’où la nécessité de l’intervention de l’État. Pour paraphraser Ibrahim Hassan Mayaki, le secrétaire exécutif du NEPAD, « On ne peut pas confiner la pauvreté ». Pourtant, au-delà de la fermeture des frontières avec les autres pays, le président de la République n’excluait dans son discours à la Nation du 10 avril 2020, la fermeture de Bamako(dans un premier temps) où vivent près de 3 millions de maliens. Au-delà du fait que le confinement fait planer de l’incertitude sur les prévisions de consommation et de production, quelles peuvent en être les conséquences sur l’économie domestique ?
De la fermeture des frontières aux ruptures des stocks ?
Le secteur tertiaire malien, principalement, dominé par le commerce, l’activité administrative et les autres services est le plus dynamique et contribuait déjà à hauteur de 37,55 % au PIB en 2019 (l’Agence UEMOA-Titres), avec une balance commerciale fortement déficitaire. Or, il est de notoriété publique que l’économie malienne reste structurellement très peu industrialisée avec un secteur manufacturier qui peine à se développer. Cette situation explique en partie le fort besoin du pays en importations et un déficit du compte courant qui s’élevait à 5,4 % du PIB en 2019. A cela, il faut ajouter une mobilisation des recettes fiscales structurellement faible (14,3 % du PIB), en dessous de la norme de l’UEMOA de 20 %.
La brutalité avec laquelle le virus s’est propagé a poussé le Mali, à l’instar de ses voisins, à fermer ses frontières afin de réduire les mouvements des populations. Cette fermeture, à termes, provoquera une diminution de la mobilité des personnes, mais aussi et surtout, des biens, des services et des capitaux.
Le Mali vivant en grande partie de l’importation de biens et de services donc dépendant du reste du monde, verra, à long termes, son stock de produit alimentaire diminuer. « La rareté d’un bien, ou d’un service faisant sa valeur », cette diminution présentera pour les vendeurs une opportunité d’augmenter les prix.
L’inflation qui en sera issue se traduira par une baisse du pouvoir d’achat des ménages, et donc de la consommation domestique.
Une autre cause de rupture de stock peut se découvrir dans la volonté des ménages de se prémunir contre une évolution brusque du virus en procédant à des achats leur permettant de faire des surstocks chez eux.
Dans l’un comme dans l’autre cas, il convient que les politiques publiques d’approvisionnement soient exécutées pour éviter des ruptures de stocks, source de perte de pouvoir d’achat. Ce qui ne semble pas avoir été fait avant l’annonce de ces mesures restrictives. La grande question reste donc de savoir comment les autorités comptent gérer une potentielle rupture de stock…
La crise de Covid-19 : Une opportunité pour l’économie malienne ?
Comme évoqué plus haut, la crise actuelle constitue une opportunité pour notre pays afin de créer des chaines de valeurs dans les secteurs ou nous détenons des avantages comparatifs en vue de soutenir la croissance économique au profit du bien-être collectif. Cela doit passer par les actions suivantes :
-repenser nos politiques industrielles à travers la mise en place et l’exécution d’une vision stratégique à l’échelle nationale tenant compte des potentialités de chaque région avec, comme fil conducteur, un secteur industriel diversifié, soutenu par les matières premières du secteur primaire.
A noter que l’industrie a, comme moteur de fonctionnement, le capital humain[15].
Adapter les politiques d’éducation à ce contexte évolutif et incertain.
Améliorer la qualité de la gouvernance institutionnelle et les capacités de coordination des politiques publiques.
Mettre définitivement fin à certaines pratiques : le gaspillage des ressources publiques, la privatisation de l’appareil étatique au profit d’une bande organisée entre copains, l’irresponsabilité de certains agents de l’État.
Conclusion :
Au-delà des mesures annoncées pour sortir de la crise, il faut une vision stratégique qui, non seulement permettra de faire sortir le pays de cette ornière, mais également de faire face à d’autres éventuelles crises de la même envergure.
En effet, rien ne garantit que nous n’assisterons pas à un phénomène pareil dans 10 ans.
Cela passe par la transformation structurelle de l’économie, la rationalisation des dépenses publiques exorbitantes, la réorientation du système productif national sur la demande intérieure, la stimulation des emplois stables et durables avec des filets de sécurité efficaces, la coordination des politiques publiques assurant une continuité des mesures et le sens de responsabilité et du patriotisme dans la gestion des affaires de la nation. En un mot, une nation existe pour durer, le plan dont il est question doit bâtir le Mali pour le long terme !
Plus que gérer l’urgence en permanence avec des « mesurettes », les discours doivent à présent servir à reprendre notre destin en main.
Bibliographie :
Agence UEMOA Titre : « Note d’Information, République du Mali », 2019.
Banque Mondiale : « Rapport sur la situation économique au sahel » mis à jour 20 avril 2020 ;
Classement IDH PNUD 2019 : Classement annuel des pays selon le PNUD suivant l’Indice de Développement humain IDH, 2019,
Commission Mouvement de Population, « Rapport sur les mouvements de population », Mars 2020.
FMI, Staff Report May 2020
Ministère de l’économie et des Finances du Mali : Rapport Situation d’exécution des recettes fiscales au titre de l’année budgétaires, 2019.
OCHA : « Rapport de situation du Mali », 28 janvier 2020.
Rapport de l’Agence Pour la Promotion des Investissements : « Appui à l’Élaboration d’une Stratégie de Communication pour l’API-Mali », juin 2017.
Rapport Mouvement de Population, Organisation des Nations Unies, 2019
UNESCO : Statistique annuelles de l’UNESCO sur l’éducation en Afrique subsaharienne.
Webographie :
Banque Mondiale : COVID-19 (Coronavirus) Response, consultable sur le portail de la Banque Mondiale au lien suivant :
https://www.banquemondiale.org/fr/region/afr/coronavirus
Annuaire Statistique de la Banque Mondiale sur le Mali, 2019, consultable sur le lien suivant : https://www.banquemondiale.org/fr/country/mali/overview#3
Enquêtes du Centre de Recherche et d’analyses politiques, économiques et Sociales du Mali : consultable sur www.crapes.ml
[1] Rapport de la Banque Mondiale sur la situation économique du Sahel dans le contexte de crise sécuritaire aigue.
[2] UEMOA titre : Note d’information sur le Mali, 2019.
[3] Prévision macroéconomie du Fond Monétaire International sur le Mali, Perspectives 2020
[4] CREDD : Cadre Stratégique pour la Relance Economique et le Développement durable, 2019
[5] dont le rôle est d’œuvrer au renforcement de la réponse de l’ONU aux crises et catastrophes naturelles…
[6] Banque Mondiale : Note de présentation du Mali mise à jour le 20 Juin 2020
[7] Une citation de Jean-Baptiste Colbert, Ancien Ministre de Louis IVX, Contrôle Général des Finances, et Secrétaire d’État de la maison du roi et Secrétaire d’État de la marine.
[8] Ministère de l’économie et des Finances du Mali : Rapport Situation d’exécution des recettes fiscales au titre de l’année budgétaires, 2019
[9] Étude sur le budget du Centre de Recherche et d’Analyses politiques Économiques et Sociales du Mali, Janvier 2020.
[11] Statistique Banque Mondiale sur le Mali, 2019
[12] Classement annuel des pays du PNUD selon l’Indice de Développement humain IDH, 2019
[13] UNESCO : Statistique annuelles de l’UNESCO sur l’éducation en Afrique subsaharienne.
[14] Agence Pour la Promotion des Investissements « Appui à l’Élaboration d’une Stratégie de Communication pour l’API-Mali », juin 2017,
[15] Ensemble de compétences, d’atouts, d’expériences, de connaissances, d’aptitudes, de qualifications qu’un individu peut avoir.