Depuis plusieurs décennies, on épilogue sur le développement de l’Afrique. Certains penseurs sont allés jusqu’à dire que ce sont les africains qui refusent le développement, l’on peut citer Axelle Kabou ; cette dernière est une sociologue camerounaise, auteure d’un livre intitulé : « Et si l’Afrique refusait le développement ? ». C’est dire que même des intellectuels africains ont été formatés pour croire à cette théorie. Mais, il est bon de se poser la question autrement : « et si ce sont les autres qui refusent le développement du continent ? ». Enlevons nos « œillères » et posons la problématique ainsi qu’il suit : oui, l’on peut croire sans contredit, que certains milieux capitalistes veulent maintenir les Etats africains dans la servitude. Cela a toujours été leur doctrine, dans le sens où ils vont sauvegarder leurs intérêts. Dans tous les domaines, l’on peut se rendre compte que ces « autres » mettent des bâtons dans les roues du développement de l’Afrique.
La souveraineté monétaire
La problématique de la souveraineté monétaire est plus perceptible dans la zone franc, en Afrique francophone. De 1960, année des indépendances à nos jours, la question monétaire n’est toujours pas réglée. Le cordon ombilical qui lie le franc CFA à l’EURO, via le trésor français, demeure le nœud du problème. Il est question aujourd’hui, de sortir les réserves constituées par les banques centrales de la zone franc au niveau du trésor français, pour les déménager ailleurs. Ceci, sûrement pour faire croire à une certaine opinion, que le cordon ombilical dont on parle est définitivement coupé. Que nenni ! Il suffit de suivre le projet de mise en place de l’ECO, la monnaie communautaire de la CEDEAO, qui doit remplacer le franc CFA, pour se rendre compte que les milieux capitalistes français, comptent toujours avoir la main mise sur les monnaies de leurs anciennes colonies. Comment peut-on comprendre que c’est le président Macron, en compagnie du président Ouattara qui doit nous donner des orientations, nous indiquer la voie à prendre, jusqu’à vouloir nous imposer un chronogramme ? Certaines prises de positions ne sont pas innocentes, elles ont tout leur sens, en d’autres termes la France tient toujours à contrôler notre monnaie. Mais, les milieux capitalistes français doivent savoir que les temps ont changé. L’opinion publique africaine a grandi et a muri, la jeunesse du continent joue le rôle de vigie. Les activistes portent le combat de la souveraineté monétaire, mieux, des hommes politiques prennent position, courageusement et allant dans le sens de moins de dépendance, sans compter les acteurs des milieux universitaires. Par ailleurs, l’ECO n’est pas seulement l’affaire des Etats membres de l’UMOA. L’ECO, c’est au-delà de l’UMOA, il y a les Etats de la ZMOA (zone monétaire ouest africaine) ! Constituée par les autres Etats hors UMOA, que sont : le Nigéria, le Ghana, le Libéria, la Sierra-Léone, la Guinée (Conakry), la Gambie et le Cap-Vert.
Alors, la France n’a rien à faire dans ce projet de mise en place de l’ECO, le colonialisme est derrière nous, d’autant plus que les Etats de la ZMOA ne se laisseront pas faire. La perspective d’une souveraineté monétaire est irréversible dans les anciennes colonies françaises d’Afrique subsahariennes. Aucun pays ne peut se développer, avec une monnaie qu’il ne maitrise pas et qui plus est, représente quasiment un résidu monétaire d’une devise étrangère.
L’industrialisation de l’Afrique
La part de l’Afrique dans la valeur ajoutée manufacturière mondiale, ne dépasse pas 2%. C’est un véritable paradoxe, si l’on sait tout le potentiel dont regorge le continent en ressources du sol, du sous-sol et de la mer. Ce niveau de sous-développement persistant, structurel est dû principalement au déficit en infrastructures. Il est vrai qu’il y a des raisons objectives qui représentent des facteurs bloquants, tels que la taille des marchés ou la faiblesse du pouvoir d’achat des populations africaines. Cependant, il ne faut pas s’apitoyer dans le fatalisme. Ces facteurs bloquants en questions ne sont pas insurmontables. Mais, la véritable raison du déficit industriel de l’Afrique se trouve ailleurs. Les investisseurs qui viennent en Afrique misent principalement dans le sous-secteur extractif. Ils exploitent des ressources qu’ils expédient aussitôt et en l’état, dans leurs pays d’origine pour leur transformation en produits finis. Ces derniers sont ensuite mis sur le marché un peu partout à travers le monde, mais pas beaucoup en Afrique du fait de la faiblesse du pouvoir d’achat.
Cela a été dénoncé depuis longtemps par le président Senghor, quand il parlait souvent de la détérioration des termes de l’échange. Des économistes comme Mactar Diouf et Samir Amin l’ont aussi dénoncé en parlant d’échange inégal.
Comme nous le voyons, l’Afrique a besoin de capitaux orientés vers l’industrie manufacturière, l’industrie de transformation. La transformation de nos ressources sur place, avec la création de PME/PMI doit-être la seule option. C’est cette option qui permet la création de richesses et d’emplois, parce qu’exploitant toutes les chaines de valeur.
Récemment, le président de la junte guinéenne, le colonel Doumbouya a convoqué certains représentants de compagnies minières basées en Guinée. L’objet de la rencontre était de leur signifier que dorénavant, ils devront construire des raffineries d’alumine. Cette volonté du colonel Doumbouya, va dans le sens de la transformation de tout ou partie des ressources tirées du sol ou du sous-sol guinéen. Cette démarche participe dans la création de valeur ajoutée et d’emplois, principalement dans le secteur bauxitique. Le président Aly Bongo du Gabon avait pris des mesures allant dans le même sens, il y a quelques années, dans l’exploitation du bois. Il avait demandé que le bois soit transformé sur place au Gabon, pour créer de la valeur et des emplois.
Pour revenir au déficit d’infrastructures, nous écrivions au lendemain de l’alternance en l’an 2000, dans le journal Canal info, un article intitulé : pour un investissement massif dans les infrastructures. Cet article était principalement destiné au nouvel élu, en l’occurrence le président Abdoulaye Wade. Les infrastructures constituent le fondement d’une économie. Malheureusement, le problème en Afrique c’est le manque d’infrastructures dans tous les secteurs. Il y a déficit d’infrastructure dans le secteur des transports, dans le secteur des télécommunications, dans le secteur énergétique, et dans bien d’autres secteurs. Cependant, il faut saluer les efforts fournis pour résorber le gab du déficit en infrastructures, comme c’est le cas au Sénégal, dans le cadre du plan Sénégal émergent (PSE). Pendant plus de 60 ans nous recevions l’aide au développement, qu’elle soit bilatérale ou multilatérale, sans compter l’accompagnement des institutions de Betton Woods. Cela n’a pas fait bouger les lignes comme il se devrait. On dirait qu’il y a une main invisible qui retient l’Afrique pour l’empêcher de bouger. Au demeurant, il faut changer les mentalités d’une bonne frange de la population, par l’éducation, la formation, l’information et la communication. Beaucoup de nos concitoyens se plaisent dans l’économie de pauvreté. Ils ne veulent pas aller de l’avant, tu leur amène le TER, le BRT, des autoroutes, des hôpitaux, ils n’en veulent pas. Leur préférence est dans le conservatisme, ils vont continuer à emprunter les cars rapides et autres Ndiaga Ndiaye, à utiliser les sentiers et aller voir le guérisseur.
La transition écologique
L’objectif premier de la COP26 qui s’est récemment tenue à Glasgow en Ecosse, est de définir des manières pour chaque pays de réduire ses émissions de gaz à effet de serre. Tout le monde est d’accord, pour trouver des solutions pour ralentir le rythme effréné du changement climatique, qui a un impact négatif sur l’environnement. Cependant, certaines décisions de la COP26 n’agréent pas tout le monde. C’est le cas du président Macky Sall, qui s’est fermement opposé à l’arrêt du financement de l’extraction des énergies fossiles. L’Inde et la Chine ont refusé de s’engager sur une sortie du charbon lors du « Pacte de Glasgow ». Le président Macky Sall a parfaitement raison, d’adopter une position aussi courageuse, les pollueurs on les connait, et ils se reconnaissent. Pendant des siècles, les pays industrialisés ont utilisé les énergies fossiles particulièrement le charbon, pour développer leurs industries. Ce sont ces pays qui ont émis le plus de gaz à effet de serre, ce qui du reste a détruit progressivement la couche d’ozone, et a dérèglé par la même occasion le climat.
Alors, ils se sont développés, mais ils ne veulent pas que les autres se développent. Pour rappel, la part de l’Afrique dans la valeur ajoutée manufacturière mondiale ne dépasse pas 2%. Corrélativement, la part de l’Afrique dans l’émission de gaz à effet de serre doit-être minime.
Pour ce qui concerne le Sénégal, c’est justement au moment où nous avons découvert du gaz et du pétrole, qui sont des énergies fossiles, que ces décisions ont été adoptées par la COP26. Les pays industrialisés doivent s’engager à arrêter d’utiliser les énergies fossiles, d’autant plus qu’ils maîtrisent parfaitement les technologies liées aux énergies propres et renouvelables, telles que l’énergie solaire, l’éolienne, l’hydraulique et le nucléaire. Ils peuvent s’y engager, d’autant plus qu’ils promeuvent une politique de décroissance économique, dans le cadre de l’économie verte. Pour trouver un consensus, on peut fixer un moratoire aux pays en développement, en les laissant utiliser les énergies fossiles sur une période de 30 ans, pour à terme arrêter définitivement leur utilisation. Cela permettra à ces pays d’assurer leur développement, tout en se préparant à l’arrêt définitif de l’utilisation des énergies fossiles au terme du moratoire.
La nécessité d’un Etat fédéral en Afrique
Les Etats nains ne peuvent prospérer, disait le professeur Cheikh Anta Diop. En panafricaniste convaincu, mais en véritable scientifique, le professeur avait très tôt compris que le salut de l’Afrique repose sur le fédéralisme et non sur la balkanisation.
Avec l’intégration, quelle que soit la forme, l’Afrique aurait beaucoup à gagner, par exemple un marché aussi grand que le marché européen, américain ou autre. Par ailleurs, c’est surtout les perspectives de mutualisation et de rationalisation des ressources humaines, financières, matérielles et autres, dans le cadre des politiques publiques, que l’Afrique pourrait s’en sortir. C’est l’union qui fait la force, et cela devrait faciliter par exemple à l’Afrique d’avoir un siège permanent au conseil de sécurité des Nations-Unies en tant que membre permanent. Les avantages d’un Etat fédéral se ressentiront beaucoup plus sur le plan économique. L’Afrique se fera alors beaucoup plus respecter, et quiconque n’osera se mettre devant elle pour freiner son développement.
L’Afrique n’est pas mal partie, l’Afrique ne refuse pas le développement. Au contraire, ce sont les autres qui refusent le développement de l’Afrique. Malgré tous les obstacles, toutes les contraintes, les filles et les fils d’Afrique les surmonteront, pour prendre résolument le chemin du développement. L’avenir du monde est en Afrique.
Serigne Ousmane BEYE
Professeur d’économie
Sécretaire national aux études et à la prospective
Du Parti Socialiste du Sénégal
beyeouse@live.fr